Un accès libre et gratuit à la recherche scientifique ?
Un accès libre et gratuit à la recherche scientifique ?
Vous ne trouvez pas d’articles scientifiques gratuits ? Cela pourrait vite changer ! Jusqu’à maintenant, les chercheurs publiaient les résultats de leurs recherches dans les 24,000 revues et journaux scientifiques existants. Pour avoir accès à un article scientifique ou à la recherche scientifique en général, il fallait être abonné à la revue ou au journal spécialisé et payer pour obtenir une copie de l’article.
Cependant, les coûts d’achats d’articles ou d’abonnements aux ressources électroniques demandés par les éditeurs ne cessent d’augmenter, ils sont jugés prohibitifs et représentent un frein majeur pour l’accès aux connaissances pour de très nombreux organismes de recherches et entreprises. Par exemple, les frais d’abonnements aux journaux scientifiques ont atteint la somme de 2,1 millions d’euros pour l’Université de Lorraine en 2017.
Ce modèle économique, et en particulier l’emprise des éditeurs de revues sur les données de la recherche, est aujourd’hui contesté par un nombre croissant d’organismes à travers le monde. Des structures de recherche, tels que le CNRS ou des universités (Universités de Montréal, Danemark) ont refusé en avril 2018 l’augmentation des budgets de documentation scientifique avant de perdre l’accès à près de 3000 titres de l‘éditeur Springer.
Dans ce contexte, des acteurs s’organisent pour revendiquer un accès libre et gratuit (Open Access) à la recherche scientifique, avec l’appui des gouvernements. Le consortium Bibsam, qui regroupe des universités et des organismes de recherche suédois, a décidé de ne pas renouveler l’accord avec l’éditeur Elsevier, car les conditions de l’accord ne permettent pas d’atteindre l’objectif fixé par le gouvernement suédois de 100 % de libre accès des publications scientifiques d’ici 2026.
Sci-Hub, crée en 2011, donne accès à la quasi-totalité des publications scientifiques sans paiement de droits ni abonnement via du web-scrapping et le by-pass de paywall. Il a fait l’objet de nombreuses poursuites de la part d’éditeurs tels qu’Elsevier, Taylor & Francis et l’American Chemical Society. Il a également été interdit en France en 2019 par le Tribunal de Grande Instance de Paris. Malgré ces procédures judiciaires, Sci-Hub reste aujourd’hui accessible et incontournable dans l’écosystème de la Recherche.
En effet, selon les estimations, Sci-Hub compte entre 50 et 73 millions d’utilisateurs, ce qui en fait l’un des plus grands sites de piratage numérique au monde. Le site sert également de plateforme pour le partage d’informations et de ressources de recherche, ce qui le rend encore plus populaire parmi les chercheurs. Bien qu’il soit illégal, l’exemple de Sci-Hub permet de mettre en lumière la défiance des acteurs traditionnels concernant l’accès libre face à l’attente de plus en plus forte de la part des utilisateurs.
Autre plateforme militante du libre accès, Sci-dip est une plateforme de santé numérique qui s’inscrit dans une démarche open science avec la vocation de rendre la science et les dernières avancées autour des pathologies accessibles au grand public.
Le projet émane du constat que, quand bien même les avancées de nos recherches pourraient être utiles à l’ensemble de la population, notamment dans le secteur santé, elles demeurent inaccessibles. Sci-dip ambitionne d’y remédier en proposant un volet média qui publie des réécritures d’articles académiques.
« Nous avons la conviction de créer avec Sci-dip un projet nécessaire aujourd’hui. Nous voulons profiter du contexte actuel et de l’intérêt quelque peu soudain (et qui risque de ne pas durer) porté à la recherche et au secteur santé. » Laura-Joy Boulos PhD, co-fondatrice de sci-dip.com.
Qu’est ce que le libre accès ?
Peter Suber explique dans « Qu’est-ce que l’accès libre ? » que l’idée de base de l’accès libre est de rendre la littérature scientifique disponible en ligne sans barrières liées aux coûts et sans la plupart des restrictions imposées par les autorisations.
Il existe au moins trois types d’accès libre, appelés les voies “verte”, “or” et “diamant”, chacune avec diverses variations :
- La voie verte de l’accès libre consiste à ce que les auteurs déposent des copies de leurs articles dans une archive ouverte.
- La voie or implique que les éditeurs rendent leurs articles immédiatement et directement accessibles au public via des revues en accès libre.
- La voie diamant est une variante de la voie or dans laquelle des organisations à but non lucratif et des associations publient du matériel qui est mis à disposition en ligne gratuitement et sous forme numérique, n’autorisant ni la réutilisation commerciale ni la génération de profits.
Ce modèle est soutenu par Science Europe et repose sur l’idée que le travail intellectuel essentiel impliqué dans la publication de recherches scientifiques est réalisé bénévolement par les chercheurs, quel que soit le modèle utilisé. En 2022, de nouvelles politiques nationales et internationales, telles que la recommandation de l’UNESCO sur la science ouverte et le Plan S pour l’accès libre diamant de la cOAlition S, visent à soutenir le développement de formes de publication en accès libre non commerciales ou promues par la communauté.
Voici comment cOAlition S décrit son Plan S : “À partir de 2021, toutes les publications savantes présentant les résultats de la recherche financée par des subventions publiques ou privées accordées par des conseils de recherche et des organismes de financement nationaux, régionaux et internationaux, doivent être publiées dans des revues en libre accès (Open Access Journals), via des plateformes en libre accès (Open Access Platforms), ou déposées immédiatement dans des dépôts en libre accès, sans embargo”.
Pourquoi rendre accessible en libre accès les publications scientifiques ?
- Accessibilité : L’ouverture en libre accès permet à quiconque ayant une connexion Internet d’accéder aux résultats de la recherche sans avoir à payer de frais d’abonnement ou d’achat de publications. Cela peut aider à élargir l’audience de la recherche au-delà des cercles académiques traditionnels, permettant ainsi à un plus grand nombre de personnes de bénéficier des connaissances et des avancées scientifiques.
- Transparence : Plus transparents veut aussi dire plus reproductibles. Cela va aider à renforcer la confiance du public dans la recherche scientifique et à assurer que les résultats de la recherche sont accessibles et utilisables par tous les chercheurs, indépendamment de leur affiliation institutionnelle ou de leur situation financière.
- Impact : Le libre accès peut augmenter l’impact des travaux de recherche. Des études ont montré que les articles en libre accès sont cités plus souvent que les articles qui ne sont pas en libre accès. Cela peut aider les chercheurs à accroître leur visibilité et à diffuser leurs résultats de recherche plus largement. En effet, l’étude de l’Université de Southampton a analysé les citations de plus de 1,3 million d’articles publiés entre 2009 et 2011. Les résultats ont montré que les articles en accès libre étaient cités en moyenne 30% de plus que les articles payants. L’étude de l’Université de Cornell a analysé les citations de plus de 500 articles publiés dans des revues scientifiques dans les domaines de la physique, des mathématiques et de l’informatique. Les résultats ont montré que les articles en accès libre étaient cités en moyenne 2,5 fois plus souvent que les articles payants.
- Avancement de la recherche : Cela peut également accélérer l’avancement de la recherche en permettant aux chercheurs d’accéder plus facilement aux travaux antérieurs dans leur domaine d’étude. Cela peut aider à stimuler la collaboration et à encourager de nouvelles découvertes scientifiques.
Rendre les articles scientifiques gratuits et ouverts à tous semble tomber sous le sens. Pourquoi n’est-ce toujours pas le cas, alors ?
Vers un accès libre de la recherche française ?
Le Baromètre de la Science Ouverte (BSO) de l’édition 2022 a révélé que la proportion des publications scientifiques françaises en accès ouvert avait augmenté de manière significative. Plus précisément, sur les 160 000 publications scientifiques françaises publiées en 2021, 67 % d’entre elles étaient accessibles gratuitement en ligne en décembre 2022, soit une augmentation de 5 points par rapport à l’année précédente. Cette augmentation témoigne de l’engagement croissant des institutions de recherche et des éditeurs à rendre la recherche scientifique plus accessible et plus transparente pour le grand public. En offrant un accès libre aux résultats de la recherche, la science ouverte permet une diffusion plus large et plus rapide des connaissances, ce qui peut favoriser l’innovation et l’avancement de la société dans son ensemble.
En effet, la France a pris des mesures pour promouvoir le libre accès aux publications scientifiques. D’abord en 2016, lorsque la loi pour une République numérique a été adoptée, qui permet aux chercheurs de déposer leurs articles scientifiques dans des archives ouvertes dans un délai de 6 mois après leur publication. Cette loi a été ensuite renforcée en 2020 avec la loi de programmation de la recherche, qui prévoit la création d’une plateforme nationale de libre accès aux publications scientifiques.
Des articles scientifiques gratuits… Trop chers ?
Afin de rendre les articles scientifiques gratuits, il faut d’abord les libérer. Le coût des publications scientifiques en accès ouvert a fortement augmenté ces dernières années. De nombreuses revues scientifiques fonctionnent selon un modèle de paiement pour publication (APC – article processing charges – sont des frais de publication demandés par les éditeurs pour financer la diffusion en open access des articles scientifiques), où les chercheurs paient pour que leurs articles soient publiés en accès libre. Le coût moyen de publication dans ces revues a augmenté, atteignant parfois plus du double de la moyenne précédente. Cette situation est problématique car elle peut rendre l’accès aux résultats de la recherche plus difficile pour les scientifiques qui ne disposent pas des fonds nécessaires pour publier dans ces revues en accès libre.
D’après une étude commandée par le ministère de la recherche et menée par la coopérative Datactivist spécialisée dans l’analyse des données publiques, les coûts liés aux publications scientifiques ont augmenté de 48 % en France entre 2018 et 2020. Les frais de publication se sont élevés à 30,1 millions d’euros en 2020, et si l’on inclut les abonnements aux revues scientifiques, la somme atteint 117,6 millions d’euros, soit l’équivalent d’environ 2 300 postes de jeunes chercheurs pour une année entière.